Ils viennent de Freetown, et courent après le « trawler » qui tourne dans le coin (c'est un espèce de chalutier chinois qui racle le fond pour pêcher et qui n'hésite pas à s'approcher trop près des côtes, dans des zones normalement interdites). Ils vérifient nos passeports, sont rassurés de voir que jm avait un visa lors de son premier séjour, nous conseillent d'aller faire de même pour moi, mais comprennent bien qu'il faut qu'on attende d'avoir le bon vent pour pouvoir y aller... Dans l'ensemble, ils sont scotchés quand tu leurs dis que tu viens de France avec ce voilier, et surtout contents et fiers que la Sierra Léone soit le premier pays africain abordé (à part Dakar, « where I catch my wife at the aerport » … - where you collect your wife, no ?)
Enfin, voir des pantalons kakis nous décident à déménager, et trois petites heures later, on contourne Maron Island pour entrer dans la baie de Burey Town ; Braïma reconnaît de suite le bateau et nous accueille en nous rejoignant avec sa pirogue de pêcheur ; je vois Levi, Ludo et les pickins qui courent nous attendre sur la plage ; je vois la maison de Cathy, ça y est, en vrai … pas le temps à la larmoyotte, faut ancrer, réfléchir à ce qu'on emmène, écouter les émouvants « I'm so happy, you come back » de Braïma …
Levi nous avait préparé un riz-poisson qu'on mange tous ensemble à même la gamelle sur la terrasse, Ludo nous fait rapidement visiter, on a à peine le temps de discuter et … la nuit tombe !
Quelle nuit ! Ma première nuit dans le lit de Cathy, je m'en rappellerais ! Déjà, jm parti avec la bougie, je me cogne dans la maison pour trouver le chiotte (comment on fait pour l'évacuation ? Est ce qu'on peut y jeter le PQ ?...) quand enfin je m'allonge sur le matelas à ressorts qui rebondit au moindre mouvement (!), le sel sur mon corps, le sable sur le drap, et surtout le bruit des vagues, du vent, des branches qui tombent, de la pluie qui grêle sur les tôles du toit, les cris dans le village, tout ce vacarme m'assaille … je n'arrive pas à me détendre, je pense à Cathy (comment fait-elle ?!!!), et surtout j'imagine le bateau luttant tout seul contre ces éléments dehors … va-t-il tenir ? Jm avait -il senti l'orage de cette nuit au moment de l'ancrer ?
Bon, apparemment, j'ai un peu déliré, ce n'était pas vraiment une tempête et Thorsson est sagement accroché devant nous au matin …
La maison de Cathy : pas de doute possible, on sait qu'on est chez elle, tout transpire sa personnalité et ses décos vont si bien avec l'art brut et simple de la construction et de l'ameublement minimum : les calebasses pendues dans les macramés, les poteries, les plantes en pot, les statuettes et les tentures africaines, les murs peints, quelques dessins d'enfants, des photos, des poutres recouvertes de bouquins … et sa terrasse accueillante où tout le monde passe dire bonjour « a di bodi ? - fine, and you ? - fine, you're wellcome »
En tous cas, pour un endroit paisible, on n'a pas choisi les bons jours : ce long week-end de Pâques est le dernier avant la saison des pluies, 5000 personnes (les outings = des gens de Freetown qui viennent sur la plage pour le we) sont attendues : une radio locale organise des concerts, et c'est le branlebas de combat dans le village. Les uns grimpent sur les cocotiers pour faire tomber les palmes qui serviront de « barrières » délimitant le village, les autres cueillent des mangues par douzaine pour les vendre (Moussou en a collecté 40 douzaines !), les autres construisent des estrades pour la cérémonie religieuse, les autres des bungalows pour faire buvette ou zones d'ombre, Levi prépare le générateur pour faire du froid et vendre des boissons fraîches, nettoie le bungalow pour le louer, Ludo range tout objet tentant (portable, outils, vêtements) et garde un œil depuis la terrasse pour surveiller les mouvements de ces « étrangers », les femmes et fillettes se font des coiffures délirantes avec de la laine, des perles, des perruques de cheveux lisses et colorés fluos (wach, ça, c'est moche) et sortent leur joli boubou...
Au milieu de tout ça, on arrive quand même à aller tôt samedi matin à Waterloo, un village situé à 28 bornes pour faire quelques emplettes au marché ; 10 km en moto-taxi (à 3 et sans casque !) pour rejoindre d'abord Tombo, puis taxi pour les 18 km restant, à 8 dans la voiture sans amortisseurs, où l'on coupe le contact dans les descentes, à l'africaine, quoi !
Grand marché, foule dense et criante, chaleur rapidement intenable, mais c'est beau ! plein de corbeilles de graines, lentilles, haricots, riz, farines, et semoules de toutes sortes ... peu de légumes : racines ou feuilles de manioc, patates douces, oignons, (j'ai vu 3 aubergines rabougries) ; en fruits, plantains, bananes, plein de mangues et quelques ananas ; le coin des poissons séchés (il faut rajouter l'odeur pour l'ambiance) ; le coin des baraques quincaillerie avec vaisselle émaillée, bassines et seaux plastiques, gamelles en alu recyclé (dommage qu'il n'y ait pas de place sur le bateau, j'adore !)… et le coin des baraques produits emballés (huiles, concentré de tomates, vache qui rit, lait en poudre, savons, mayonnaise, bouillons-cub ….)
youhou !! j'ai aussi repéré des femmes qui portent sur leur tête des piles de tissus magnifiques !
Évidemment, jm m'a fait gouté à toutes les pâtisseries qu'il avait déjà repéré : sablés, brioches, triangles au sésame, trucs aux cacahouètes … c'est fou comme il est à l'aise avec eux, il marchande tranquille, fait semblant de leur piquer un truc, il les fait rigoler … les femmes, elles adorent !!
Bon, pour l'instant, on a acheté un minimum basique, nos sacs sont déjà lourds, on reviendra mardi avec Ludo.
Dimanche, l'action de la journée a été de laver notre linge au water-side. Mode d'emploi :
tout d'abord, remonter le village avec salutations de convenance à chaque maison, les gens sont dehors et t'interpellent « hey, john-marc ! It's your wife ? » et ils rigolent quand tu leur expliques que tu ne peux pas porter la bassine de linge sur la tête …
à 500 mètres plus haut, sur le site même, ombragé, petite rivière entre gros cailloux ronds et gris, il y a l'endroit pour puiser l'eau potable (tout en haut), puis le côté des hommes (qui viennent se laver) et celui des femmes (juste en dessous), pour se laver et laver le linge ; pas de démarcation particulière, ils s'interpellent même parfois entre eux tout en se lavant, il n'y a aucune gêne, mais jm ne peut venir m'aider du côté des femmes ; elles me proposent donc une place sur un rocher sur lequel je m'accroupis, je me débrouille tant bien que mal à frotter nos T-Shirts en utilisant un minimum de lessive … et elles rigolent « it's not the way ! » ou me proposent de faire à ma place, mais quand je les vois frapper leur linge avec leur battoir, ou racler énergiquement le rocher, je me dis qu'il ne resterait pas grand chose du T-Shirt si j'acceptais ! Et pi je préfère les faire rigoler ! On se comprend difficilement, mais il y en a toujours une qui me traduit en anglais, ou avec des gestes !
Pendant ce temps, jm va remplir les bidons d'eau potable, on recharge dans la bassine et retour ….
ouf ! Heureusement qu'il y des arbres qui font de l'ombre, des gens à qui parler un peu, la construction d'un puits vers l'école à inspecter, un minibus coincé dans une ornière à observer … pour faire des haltes et se reposer un peu !!
Lundi, ballade matinale le long de la grande plage ; un moment pour prendre le temps de se remplir de la beauté du lieu et pour prendre conscience de comme on est bien ici… Après-midi sur le bateau, pour vérifier les amarres, pour faire un pain d'épices (il n'y a pas de four chez Cathy), pour échapper un peu aux boum-boum des sonos sur la plage, et pour vous raconter tout ça !
Paradisiaque, non ?
Il y a quand même des questionnements …
Que faire quand on rencontre Joséphine, un bidon de 15 litres sur la tête, les jambes aussi maigres que ses bras, et surtout, un visage triste, so sad … elle vit chez son père, mais n'a apparemment plus le droit de venir nous voir chez Cathy …
Que penser quand Moussou m'apporte une douzaine de mangues ? Est ce un début de remboursement de ce que lui a prêté jm la dernière fois ?
Que faire face à leurs demandes incessantes, exprimées ouvertement ou non, « mon bateau a chaviré hier et il s'est cassé contre les rochers » pour Adé, « mon père est malade » pour Bami, « un rapala et une ligne » pour Samuel …..
Quelle valeur peut avoir notre amitié quand Bami ne revient pas nous rendre le rapala prêté ?
Et aussi :
see you soon !
Malgré cette déchirure Bureh Townienne bien ancrée au fond de mes tripes, tes descriptions m'ont arraché sourires et larmes... J'aime bien comme tu dessines tout ça.
RépondreSupprimerSalam !